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TRASHMOVIES
7 avril 2011

LE MEPRIS

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                Il arrive parfois qu’un film ne vous laisse pas indemne. Entendons par la que la finesse dans la construction et dans les idées se conjuguent en un chef d’œuvre quasi initiatique. Le mépris est de ceux la. Réalisé par jean Luc Godard en 1963, réunissant à l’écran Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Fritz Lang, Jack Palance, le mépris traite du couple, de la vie, de la femme, de l’amour, du cinéma, et tant d’autres choses fabuleuses.

                Un film initiatique

Entendons par le terme « initiatique » un processus d’accomplissement de soi au sens Aristotélicien du terme. Grandir en âme et en esprit pour cerner le monde et ses rouages. Rares sont les films de ce calibre, d’autant que cela dépend intimement des affinités subjectives de chacun d’entre nous,  et de la phase de l’existence dans laquelle nous nous trouvons.

Godard présente ce qu’est le choix. Le moment ou un individu accomplit la gymnastique intellectuelle de trancher entre deux ou plusieurs possibilités contingentes. Le personnage principal est tiraillé par son ambition et délaisse sa femme, révélant sa nature vraie qui est celle d’un égoïste mal assumé. Brigitte Bardot fera donc elle aussi des choix, qui la mèneront à la limite. Montrant ainsi que choisir est affaire de réflexion profonde et de recul. Car les paramètres qui nous engageaient hier peuvent se déliter demain et retirer tout intérêt au mode de vie dans lequel l’on s’est glissé.

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Aujourd’hui la flexibilité ambiante du monde a désacralisé le principe de stabilité amoureuse. L’amour stable est l’amour qui est en permanence comblé, et dès que cette satisfaction n’est pas entière l’on change de partenaire. Le mariage nouveau est l’enfant qui unit concrètement, même dans les paperasseries du divorce. Et ce revirement de l’amour est dur à appréhender pour nos contemporains. Aussi ce film de Godard malgré son âge certain, donne quelques clés pour comprendre ce qu’est « aimer l’autre pour lui-même ». Sans mettre de côté le devoir, il faut être illustratif et que la naturalité de l’existence laisse voir à l’autre le respect que l’on éprouve pour ce qu’il est. C’est ça l’amour vrai, que « le mépris » définit a contrario.

La tension qui ne cesse de monter entre les protagonistes de cette histoire d’amour et de cinéma prend très vite une dimension meurtrière.  Dans le symbole et dans l’ambiance. En effet lorsqu’un couple se brise, il faut qu’il y ait meurtre. Comme l’explique avec beauté Raymond Abellio ce n’est ni la femme infidèle ni son amant qu’il faut tuer, mais soi même, c'est-à-dire « changer de chair et d’âme » dans une optique de résilience fortifiante. Cet aspect est très bien abordé par Godard qui joue avec la menace de mort comme un enfant joue avec un ballon. On sent une maitrise redoutable en termes de manipulation des sentiments et de l’affect du spectateur. Et cette manipulation excède le seul cadre du scénario, elle est également dans les formes, voire dans l’essence même du film.      

                L’omniprésence du thème cinématographique

Ceci est souligné par le fait que le mépris est une sorte de mise en abîme sur le monde du cinéma. Et la aussi il y a une initiation à ce monde dont le cinéphile ne voit que le reflet. Godard laisse voir l’exubérance des acteurs, la finesse posée des réalisateurs, la vie trouble des scénaristes, l’instrumentalisation des femmes, et la recherche de l’inspiration. 

Le caractère de l’acteur Hollywoodien fou est très réaliste. Il n’est pas sans rappeler les crises d’hystérie de Klaus Kinski par exemple, dont on sait qu’il était imbu de lui-même, fou à lier par moments, et potentiellement méprisant avec tout le personnel des tournages. Face à lui, l’émouvante expérience poétique de Fritz lang constitue un équilibre serein et beau. Un peu comme s’équilibrent dans la pensée chinoise le froid du Yin et le chaud du Yang. Derrière ce tumulte des passions et des questions, il est la, dans son propre rôle, qui symbolise la sagesse, le roc inébranlable, et l’intelligence pure. Il anime le film de répliques sublimes dont je ne rappelle ici que la plus marquante : « la mort n’est pas une conclusion ».     À méditer.

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Le générique de début, ainsi que la fin sont tout bonnement extraordinaires. Courts, parlés et froids ces attributs systématiques de tout film sont révolutionnés. Une impression étrange se dégage de cela, celle d’un cinéma qui se lit, qui joue avec lui-même en une mise en abîme énigmatique.

Rejoignent cette thèse les séquences de tournage, où le cinéma devient l’objet de sa propre mise en scène. Godard présente ainsi un panorama des plus précis sur les deux concepts antinomiques que sont le cinéma et la réalité matérielle.Toutefois, la morale et le caractère intemporel de l’œuvre en font une sorte de conte dont il serait réducteur de ne retenir que ce « cinéma qui se regarde ». Godard va plus loin, il propose d’envisager que la vie est un film. Que la providence qui anime ce monde est une lentille de caméra. Nos mémoires enregistrent sur d’impalpables pellicules cérébrales les prises de vue subjectives de nos yeux. Et l’homme a ceci de fascinant qu’il analyse en permanence ce qu’il voit, le passant au crible de son expérience et de sa culture. Il excède alors la froide mécanique de la caméra que seul l’art du réalisateur peut animer et transfigurer. Pour conclure, ce cinéma qui se voit, basé sur l’amour et le concret, encourage à vivre mieux. 

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