ANTICHRIST

  

Parfois la controverse autour d'un film est si forte que l'on en oublie le fond de l'histoire. C'est le cas d'Antichrist, le dernier film de Lars Von trier.

L'action se déroule dans une maison abandonnée au fond des bois. Un couple endeuillé par la mort de son enfant, tente de se rétablir dans la solitude et l'apaisement

Un film biblique et Nitzschéen

Antichrist est une tentative de peinture de l'échec absolu, dans laquelle l'homme est en état de désespoir effervescent post-traumatique, c'est à dire le cas de figure où il ne croit délibérément plus en l'existence d'un quelconque concept de bien ou de mal. Il s'agit de ne « plus » y croire et non pas de ne « pas » y croire. Ce qui n'est pas sans rappeller Nietzsche, qui a basé son nihilisme sur une théorie allant en ce sens. Il insiste sur la falsification chrétienne des valeurs, et l'apparition du pessimisme contemporain (pourquoi souffrir?) dans un monde où selon lui "Dieu est mort". Or le réalisateur est bon élève de ce courant de pensée lorsqu'il filme l'éloignement du monde, la destruction des passions et l'ascèse.

Il présente de surcroît un étonnant paradoxe entre la quête de proximité avec la nature physique, et l'éloignement progressif de la nature « humaine ». Il y a dans le départ du couple, une volonté de rédemption. Le choix de leur destination révèle leur besoin de réconfort, de naturalisme. Mais cette « nature » bien au contraire va exacerber leur animalité et leur désespoir jusqu'à leur paroxysme. La représentation de la nymphomanie frénétique, et de l'abandon au mal de Charlotte Gainsbourg souligne un besoin soudain de sauvagerie, et de compréhension globale du monde. Elle désire percer le mystère du mal. Dans cette analogie avec la phase terminale de la bible, il faut relever l'écho avec la phase originale du même livre, à savoir une femme qui à l'état de nature, tend à explorer le mal et à y succomber.

C'est  le sentiment sincère du monopole qu'elle a de la douleur du deuil de leur enfant, qui la hante. Elle dénonce l'absurdité de la création, immolant l'espoir sur l'autel du destin. Et "Adam / Dafoe" sombre fatalement avec elle dans la sauvagerie. Ils s'affranchissent du pessimisme contemporain, redécouvrant l'humanité dans sa conception brute. Vierges de toutes valeurs, égarés dans un no man's land social, voire cosmique, ils explorent leur être avec violence.

La controverse

Antichrist est un film controversé car son scénario est torturé, et certaines images insoutenables. Le réalisateur présente sans retenue aucune, des mutilations sexuelles avec des outils improbables, suivies de tortures indescriptibles par leur cruauté. Pareille caractéristique me dérange en tant que spectateur; car quand bien même la finalité de cette violence visuelle serait justifiée, je n'y vois que la picturalisation de la dépression avouée du réalisateur pendant l'écriture et le tournage du film.

L'hommage a tarkovsky, annoncé en début de film, s'en trouve terni. Car ce dernier est le prince de la suggestion et du symbole. Lars Von Trier ne rappelle ici le réalisateur Russe que par l'évocation superficielle de thématiques religieuses, rigoristes, et naturalistes. Mais il oublie que ce dernier était un artiste qui présentait la loi et non la fresque, de son chaos intérieur, oubliant de persuader pour ne penser qu'à convaincre, avec un dédain évident du plaisir. Quelqu'un qui cherchait le "grand style", au sens Nitzschéen du terme.

Non pas que les images fortes soient critère de mauvaise qualité d'un film, mais leur utilisation doit respecter des codes, tout du moins on est en droit de l'attendre de la part d'un réalisateur dit sérieux.

Pour conclure je dirais que la controverse autour du film est justifiée, qu'il est dès lors difficilement regardable par tous les publics, mais il reste toutefois une allégorie biblique réussie, où le désespoir explose en une nuée d'obscurs tourments.

NB: Diverses interprétations et analyses sont envisageables. Il est notamment possible de considérer le conflit intérieur entre la femme et la mère que Charlotte Gainsbourg ne peut plus être simultanément, ainsi que cela a été fait par le blog citizen poulpe (http://www.citizenpoulpe.com/antichrist-lars-von-trier/ ).

Comments

[Citizen Poulpe]

Ton analyse est très fine! Ton interprétation est différente de la mienne, mais je pense que pour ce film, plusieurs interprétations peuvent être "compatibles", car il y a à la fois des aspects philosophiques, symboliques (ceux que tu explores dans ta critique), et des aspects psychologiques. C'est d'ailleurs ce qui fait sa richesse! J'ai jeté un œil sur tes autres articles, notamment celui sur Orange Mécanique, c'est très pointu également! Tu évoquais une collaboration, n'hésite pas à me contacter via l'adresse mail que j'ai laissée pour poster ce commentaire.